ERNEST ET SIFFLOTIN
VONT A LA VILLE
Il  faut songer qu’au plus profond de l’abîme, 
    Une  main tendue peut donner de l’espoir.
    Et  bien souvent, juste à l’instant ultime, 
    La  force qui manquait retrouve son pouvoir.   
Texte et illustrations de Nicole Bouglouan
          Ils se voyaient flâner le long des  avenues
            Abritant tous ces beaux magasins si  tentants.
            Ils pensaient même que pour fêter  leur venue,
            Le bourdon de la tour sonnerait à  tout vent...
          Juste à ce moment-là, on entendit les  cloches
            Dont le son par la brise leur fut  rapporté.
            Elles annonçaient que dans la cité  proche,
            Les Fêtes de Noël allaient se  préparer.
          Ce fut le déclic pour que les deux  compères
            A présent décidés, s'apprêtent à partir.
            Les bagages bouclés, les voilà donc  très fiers,
            Disant "au revoir",  promettant des souvenirs.
          Tout au long du chemin et trouvant la  vie belle,
            Ils chantèrent en chœur leurs plus  jolis refrains.
            Quelques jours plus tard, ils virent  enfin celle
            Qui les faisait rêver se profiler au  loin.

          Un mur de béton fut la première chose
            Qui s'offrit à leur vue, les laissant  surpris.
            Le spectacle, à coup sûr, serait  grandiose 
            Bien que les coloris, à leur goût,  soient trop gris!
          Ernest, sur le sol, rasait les murs  de pierre
            Pour éviter les coups de ces talons  très hauts
            Portés par ces dames à l'allure fière
            Qui allaient et venaient, chargées de  leurs fardeaux.
          Juste au-dessus de lui, frôlant les  façades,
            Le merle volait doucement à  mi-hauteur,
            Veillant du coin de l’œil sur son  camarade
            Qui bien malgré lui, progressait avec  lenteur.
          Sifflotin, là-haut, avait du mal à  croire
            Que vivre en ces lieux fut vraiment  un plaisir. 
            Il tenta de rassembler, dans sa  mémoire,
            Tous les motifs qui l'avaient poussé  à partir…
                                                                                      
            Les monuments, les  jardins et les boutiques,
            Les immeubles, les musées, les grands  restaurants
            Qui proposaient, dans un décor  féerique,
            Une ribambelle de mets appétissants.
          Il est vrai que les rues étaient magnifiques!
            Partout des guirlandes chargées de  lampions
            Clignotaient sur un fond de douce  musique.
            Nos deux amis planaient en pleine  illusion.
          Ernest et Sifflotin, les yeux pleins  d'étoiles,
            Avançaient en rêvant, sans faire  attention.
            Ce monde n'était pas celui d'une  toile
            Inerte et sans danger... mais plein  de trahisons!
          Les carrefours avec leurs feux  tricolores
            Laissaient passer les voitures en  flots pressés. 
            Puis la vague des piétons multicolores
            Comme une marée sur l'avenue déferlait.
          Coincé au milieu de ces courants  contraires,
            Le pauvre Ernest prit peur et ne sut  où aller.
            Cloué sur place, il ne pouvait rien  faire,
            Pensant sa dernière heure déjà   arrivée...

          Soudain il se sentit soulevé de terre
            Par une main gantée qui l'attrapa au  vol!
            Cette heure ne serait donc pas sa  dernière
            Pensa-t-il de là-haut, bien au-dessus  du sol?
          Il chercha des yeux le visage de  l'ange
            Qui par chance traversait là au bon  moment.
            Ce qu'il vit lui parut tout à fait  étrange:
            Un regard courroucé sous un képi tout  blanc!
          Il eût droit à un sermon de premier  ordre
            De la part de l'agent placé au  carrefour,
            Qui l'accusa de semer un grand  désordre
            En voyant les badauds s'agglutiner  autour!
          Sifflotin, très inquiet, ne trouva  rien de mieux
            Que le beau couvre-chef pour venir se  poser !
            Près de son ami il remercia les cieux
            Qu'un gentil gendarme de la mort  l'ait sauvé!
                                                                                                                   
            A nouveau déçu par cette expérience,
            Notre tandem passa la nuit dans un  jardin.
            Cette fois encore ils avaient pu, par  chance,
            Avec l'aide d'autrui, modifier leur  destin.

          Ils rentrèrent chez eux, penauds et  honteux.
            Ce voyage serait leur mauvais  souvenir.
            Pourtant, en y repensant plus tard,  malgré eux,
            Ils dirent: "Cela aurait pu être  pire!"
A peine  remis de leurs métamorphoses,
    Ernest et  Sifflotin rêvaient de repartir.
    Ces derniers  temps, ils ne voulaient qu’une chose, 
    Aller à  la ville. Tel était leur désir !