ERNEST ET SIFFLOTIN A LA BIBLIOTHEQUE
Ils se rendormirent, retrouvant leurs héros.
C’est si bon, de temps en temps, de faire le vide,
De changer de destin l’instant d’un court repos,
Faisant un pied de nez à notre course avide!
Fuyant les émotions pour quelques temps du moins,
Ernest et Sifflotin décidèrent de lire.
A la bibliothèque du hameau voisin
Se trouvait le nécessaire pour s’instruire.
Ils partirent donc par un clair matin d’hiver
Avec dans la poche toute leur tirelire.
La culture pouvait quelquefois coûter cher,
Mais ils auraient désormais tant de choses à dire!
Se sentant tout petits dans le grand bâtiment,
Ils allèrent aussitôt vers la conseillère
Qui en souriant leur demanda gentiment
Quelles étaient leurs préférences en la matière.
Sifflotin s’intéressait à la migration,
Ce long voyage que faisaient les hirondelles
Lorsque l’automne les chassait à l’horizon
Vers des contrées lointaines où la vie était belle.
La jeune femme proposa des documents
Traitant le sujet de différentes manières.
Et Sifflotin alla s’installer calmement
A une longue table, avec ses affaires.
Vint le tour d’Ernest qui préférait les romans,
Surtout ceux qui contaient de grandes aventures.
Elle lui apporta l’histoire de Tarzan
Qui vivait dans la jungle au gré de la nature.
Tout heureux, il partit rejoindre Sifflotin
Déjà plongé dans sa passionnante lecture.
Le silence se fit entre les deux copains.
Les mouches pouvaient voler, ils n’en avaient cure!
Sifflotin suivait pas à pas les migrateurs
Qui ayant traversé et la France, et l’Espagne,
S’attaquaient maintenant au Sahara vengeur
Qui n’avait vraiment rien d’un pays de cocagne!
C’était là, dans les dunes de ce dur désert,
Que beaucoup d’hirondelles sombraient, épuisées.
Les grands lézards sautaient sur ce repas offert,
Et bien peu d’entre elles pourraient être sauvées.
Elles n’avaient qu’une chance d’y échapper:
En rassemblant leurs quelques forces avec courage,
Tout là-haut dans le ciel il leur fallait monter
Pour voir au loin une oasis, pas un mirage!
A ce moment-là, elles se laissaient tomber
Sur ce miracle de fraîcheur et de verdure.
Pour celles qui arrivaient là sans succomber,
On pouvait parier sur la fin de l’aventure.
Piquant vers le Sud du continent Africain,
Elles allaient s’installer en villégiature
Dans un endroit très riche en eau, un bel écrin
Pour leur repos car la route fut vraiment dure.
Le merle émit un sifflement admiratif
Quand il sut que quatre mois étaient nécessaires
Pour atteindre ce but en un vol instinctif.
Et à peine quarante jours pour le refaire!
La mémoire fabuleuse de cet oiseau
Retenant du voyage la géographie,
Lui permettait de venir vers nous à nouveau
En avril, quand la saison se faisait jolie...
Sifflotin, stupéfait, semblait perdu au loin,
Tandis qu’Ernest, fébrilement, page après page,
Absorbait goulûment, comme dans un festin,
Les aventures de son héros de passage.
Tarzan, flanqué de son copain le chimpanzé,
Parcourait la jungle peuplée par les grands fauves.
De temps à autre, très rarement, il croisait
Quelques êtres le foudroyant d’un regard torve.
Son cri particulier calmait les éléments.
Ami de tous, il ne craignait rien ni personne,
Lorsque traversant la jungle à dos d’éléphant,
Il caressait la tête du serpent qui sonne.
Juste au-dessus de lui, Sheeta, son grand copain,
Se balançait gaiement, allant de liane en liane,
Pour atterrir enfin sur le dos de l’humain
Et chevaucher ensemble dans l’aube diaphane.
De-ci de-là, peuplant d’immenses marais,
D’énormes crocodiles à la forte mâchoire
Se prélassaient dans l’eau le regard aux aguets,
Prêts à tuer sur un signe prémonitoire.
De superbes lionnes ondulaient à couvert,
Surveillant calmement un beau troupeau de zèbres
Allant et venant près du point d’eau découvert
Où se jouait leur vie quand tombaient les ténèbres.
Et le roi de la jungle, la crinière au vent,
Arpentait la savane, suivant les gazelles.
Car en ces lieux, vivre n’était point un présent,
Mais une tâche quotidienne et essentielle.
Le livre s’achevait lorsque venait le soir,
Quand Tarzan et Sheeta regagnaient leur repaire,
Et que leur amitié faisait briller l’espoir
Que le lendemain verrait la paix sur la Terre...
Ernest et Sifflotin, les yeux un peu rêveurs,
Se levant de concert, rapportèrent les livres.
Ils considéraient comme une immense faveur
D’avoir appris que certains luttaient pour survivre.
De retour chez eux, ils allèrent se coucher
Et s’endormirent avec des visions plein la tête...
Au milieu de la nuit, un bruit de ricochet
S’entendit là-haut, venant de la maisonnette!
C’était Sifflotin, se croyant dans le désert,
Les pattes prisonnières du sable des dunes,
Qui, en battant des ailes pour gagner les airs...
Avait heurté le plafond de sa tête brune!
Tombant lourdement sur sa descente de lit,
Il réveilla Ernest qui, voguant en plein rêve,
Sautait de liane en liane au-dessus du tapis.
Quand il ouvrit les yeux, la chute fut trop brève...
Le hérisson rebondit sur son matelas
Et se retrouva au sol, tout roulé en boule.
Soulevant les paupières, surpris d’être là,
Il avait l’impression de flotter sur la houle!
Retrouvant Sifflotin les yeux un peu hagards,
Ils partirent tous deux d’un grand éclat de rire.
Ils avaient fait chacun, par le plus pur hasard,
Le même songe tournant ensuite au délire.
Ce jour-là pourtant, le choix de l’activité
N’avait pour but que de leur apporter le calme.
Enfin, ils reconnurent avec sincérité
Qu’une telle évasion méritait bien la palme!