ERNEST ET SIFFLOTIN AU JARDIN BOTANIQUE
Le quartier où vivaient Ernest et Sifflotin
Arborait à présent des couleurs magnifiques.
Les maisons bien repeintes et les jolis jardins
S’intégraient doucement dans ce lieu bucolique.
Amoureux de la nature ils avaient semé
Des fleurs de toutes sortes et des herbes culinaires,
Et puis deci, delà, partout disséminé
Des bulbes variés pour égayer la terre.
Ils étaient tous deux satisfaits de leur travail.
Pour le printemps prochain, ils se sentaient en forme
Pour participer au concours -Joli Bercail-,
Récompensant les créations les plus conformes.
En attendant, ils rêvaient d’aller visiter
Dans la région voisine un jardin botanique.
De retour chez eux, ils pourraient sans hésiter
Changer des détails, ayant compris la technique...
Par un beau matin d’automne ils partirent donc
Vers ces contrées aux températures clémentes.
Enchâssées entre des coteaux couverts d’ajoncs,
Elles se cachaient au pied de leurs douces pentes.
C’était en fait assez curieux de cheminer
Sur ces courbes élégantes hérissées d’épines.
A l’automne, pas une fleur n’illuminait
Ces buissons hirsutes à l’apparence anodine.
Sifflotin se juchant tout en haut pour mieux voir
S’écorcha profondément juste sous la patte,
Et descendant en voletant de son perchoir,
Sautilla le long du chemin à cloche-patte!
Il avait eu le temps d’apercevoir au loin
Une grosse bulle lovée dans les collines.
Mais décidant d’attendre jusqu’au lendemain,
Ils passèrent la nuit au milieu des épines...
Leur sommeil ne fut vraiment pas des plus sereins,
Car au-dessus d’eux hulula une chouette.
Pendant des heures, son chant dénué d’entrain
Leur fit presque regretter leurs moelleuses couettes!
Le lendemain matin, l’air un peu endormi,
L’un tout courbaturé, l’autre traînant la patte,
Ils touchèrent au but, et le regard ravi
Entrèrent dans un cocon doux comme la ouate.
Oubliant leurs malheurs, ils regardaient partout!
Les couleurs violentes d’une flore exotique
S’adoucissaient soudain dans un feuillage fou
Entrelaçant ses tiges en un ballet magique.
Plus loin, une muraille aux rochers imposants
Se parait de place en place de fleurs subtiles.
Ernest et Sifflotin se trouvaient à présent
Dans la serre aux orchidées aux tiges graciles.
Les tailles et les nuances en un vaste éventail
Offraient aux visiteurs un tableau féerique.
Toutes les espèces, dans les moindres détails,
Exposaient leur beauté aux formes excentriques.
Allant un peu plus loin, changement de décor!
Au fond ruisselait une jolie fontaine
Dont la fraîcheur agissait en un temps record,
Menant à des plantes à la silhouette hautaine...
Sifflotin, très curieux, se rapprocha un peu.
Une chose bizarre jaillissait des feuilles.
Au bout d’une tige s'écartaient sous ses yeux
Deux volets dentelés, empêchant qu’on les cueille!
De son bec effleurant doucement les longs cils,
Il sentit quelque chose emprisonner sa tête!
Ondulant sur ses joues aussitôt les grands fils
Tirèrent ses plumes… ce n’était point la fête!
Au pris d’un gros effort, il put se libérer.
D’habitude, ce sont les oiseaux qui picorent!
Comment un végétal peut-il vous torturer
A moins, bien sûr, d’être une plante carnivore?
Ernest tordu de rire montrait le panneau:
«Plantes très carnivores, attention aux morsures»!
Sifflotin vexé, tourna le dos, tout penaud.
C’était déjà pour lui sa seconde blessure.
En marchant doucement, ils trouvèrent plus loin
Un endroit caillouteux, même un peu désertique.
Mais ils découvrirent dans un petit recoin
Des hérissons au repos, c’était fantastique!
Ce fut un Ernest ravi qui alla vers eux.
Quelques-uns uns, une fleur piquée dans les épines,
Indiquaient que des dames habitaient en ces lieux.
Aussitôt, Ernest se sentit d’humeur coquine...
Il s’assit au milieu, pensant leur raconter
Leur visite agitée parmi toutes ces plantes.
Mais aucun d’entre eux n’avait l’air de l’écouter;
Etaient-ils au moins des créatures vivantes?
Se montrant inquiet, il voulut les secouer,
Mais recula vivement, la mine effarée.
De sa gorge fusa un long cri enroué.
Une fois de plus, sa truffe fut lacérée!
Quatre vilains piquants faisaient saigner son nez.
Se tournant vers Sifflotin, il le vit sourire,
Montrant la plaque dont le mur était orné:
«Cactus, ne pas toucher». C’était son tour de rire...
Décidément, ils n’étaient pas dans un bon jour.
En conclusion, ils écourtèrent la visite
Et reprirent la route, clopinant toujours,
Aile-dessus, patte-dessous, presque une fuite!
Quelques jours plus tard, ils arrivaient au hameau.
Sur leurs corps, les quelques croûtes sanguinolentes
Montraient à leurs amis - ce n’était pas nouveau-
Que leur expérience finissait en tourmente!
Ils pansèrent leurs plaies entourés des voisins,
Et se consolèrent en lisant les nouvelles
Venues des Canaries, cet archipel lointain
Où Altesse et Princesse avaient la vie belle.
Ils apprécièrent le calme de leur jardin,
Et la danse lascive sous la tendre brise,
Des bruyères mauves près du mur frais repeint.
Un environnement joli et sans surprises!
Ernest et Sifflotin, enfin chacun chez soi,
Etaient quand même heureux d’avoir vu ces merveilles.
Mais ils songèrent, pelotonnés sous leur toit,
Que là était leur vie, si douce et sans pareille!