OÙ VA LA SOURCE ?

 

Il était une fois,  là-haut, dans la montagne, là où les reliefs forment un impressionnant chaos d’éboulis et de cassures, une grotte magnifique où courait une rivière souterraine…

Texte et illustrations de Nicole Bouglouan

Dessins réalisés au pastel sec.                                                                

Les personnages et les oiseaux sont réalisés au crayon aquarelle.

 

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La roche, sculptée par les eaux, profitait de temps en temps d’un rai de soleil qui se faufilait par les fissures du plafond. C’était un véritable enchantement. Partout des reflets mouvants jouaient sur les pierres, créant des scènes irréelles et fugaces. Les ombres et les lueurs se poursuivaient sans fin, entre les stalagmites fantomatiques qui se dressaient un peu partout. Accrochées à la voûte, des stalactites effilées laissaient suinter des perles d’eau avec une régularité d’horloge, partant rejoindre les flots prisonniers des parois.

La rivière chantait le long de son parcours vertigineux en descendant sous les crêtes. Il y avait là un monde à part, protégé, surnaturel, sans surprise.
Mais un jour, à l’endroit où le courant frappait fort, un rocher se brisa. Il s’effritait depuis si longtemps, il n’avait plus le courage de résister à cette poussée permanente. Alors, un mince filet d’eau se glissa dans cette voie, et commença son long travail.

Longtemps, bien longtemps après ce fameux jour, une source claire émergea au grand air. D’abord, timidement, elle risqua quelques gouttes à la surface, et fut surprise par la morsure du froid. Elle gela sur place! Mais en dessous, la pression montait, et l’envie de sortir devenait impérative. Et soudain, envoyant voler au loin des débris de cailloux et des paillettes glacées, elle jaillit hors de son trou! Une source était née !

Heureuse, elle folâtrait entre les touffes d’herbes qui perçaient le tapis neigeux. Explorant son nouveau territoire, elle furetait partout, cherchant son chemin vers la vallée. Sa course de plus en plus folle empêchait le froid vif de la figer. Elle vivait enfin à l’air libre ! Le bleu du ciel et le pâle soleil d’hiver se reflétaient dans ses flots cristallins. Elle fredonnait gaiement la douce chanson de la liberté.

Les heures passèrent vite. Petit à petit, les couleurs  changèrent, annonçant le crépuscule. La jeune source, fatiguée par cette première journée hors de la grotte, décida de se reposer. Avisant une cuvette naturelle bien protégée par des rochers, tout près d’une forêt de sapins, elle s’y installa pour la nuit. Ses flots s’apaisèrent et ce fut le silence.

Bientôt, la lune monta dans le ciel, et une première étoile, l’Etoile du Berger, s’y posa à son tour, vite imitée par d’autres, plus petites mais tout aussi brillantes. Tout ce petit monde était ravi de découvrir ce joli plan d’eau, si transparent, un vrai miroir pour cette nuit claire étendant son grand manteau sur cette nature sauvage.

Les eaux assoupies, bercées par le silence, étaient complètement lisses, mais tout d’un coup, ce fut la surprise ! Quelque chose agitait la surface, et notre jeune source sentit une sorte de chatouillement sur le bord. Les sens en éveil, elle se concentra et ressentit la peur de sa vie : une bête poilue se penchait sur elle, le museau dans l’eau en faisant des clapotis… Elle s’obligea à ne pas bouger, mais l’angoisse la faisait frissonner, et l’animal releva la tête ! C’était un ours, magnifique, majestueux, maître de la nuit, venu tout naturellement se désaltérer à cette source fraîche !

Il ne lui voulait pas de mal, il avait soif, tout simplement. Sans doute allait-il bientôt entrer en hibernation pour plusieurs mois, et au bout d’un long moment, il repartit dans les ténèbres. Son pas pesant résonna longtemps aux alentours, provoquant de légers mouvements circulaires sur l’onde. Puis, le calme revint et notre jeune source épuisée par tant d’émotions s’endormit.

Plus la nuit s’épaississait, et plus le froid devenait vif. Un vent glacé soufflait entre les arbres et ridait la surface des eaux. Insensiblement, le gel gagnait du terrain. Il commença par immobiliser les bords du petit lac ainsi formé. Une mince couche de glace le recouvrit bientôt en partie.

Aux premières lueurs de l’aube, la source reposée voulut s’étirer, mais quelle ne fut pas sa surprise en se sentant coincée ! Heureusement, le milieu de la cuvette n’était pas figé. En s’agitant pour provoquer des remous, la source arriva à ses fins. De fines vaguelettes ondulèrent vers les bords, et bientôt, des craquements secs se firent entendre. La glace céda par plaques, libérant le courant. Elle pouvait à présent reprendre sa descente.

Vers midi, notre jeune amie connut une autre grande épreuve. Après avoir gambadé toute la matinée, elle arriva en vue d’une paroi abrupte. Le paysage était grandiose. Des chaos rocheux étincelants de givre, des sapins aux branches alourdies par la neige, un ciel bleu éclatant, elle ne savait plus où regarder, mais le bord arrivait très vite et il allait falloir sauter…

Concentrant ses flots en son milieu, elle prit son élan…et s’envola ! Pendant quelques secondes, la brise la porta, semant des perles d’eau aux alentours, et puis, ce fut la chute, brutale, violente, bruyante. Une véritable apocalypse ! Le décor défilait très vite de part et d’autre, la vitesse augmentait sans cesse et soudain, ce fut le choc ! Elle heurta la masse rocheuse au pied de la paroi, et éclata en mille gerbes scintillantes.
Les rayons du soleil s’empressèrent de les capturer pour jouer à l’arc-en-ciel. Un peu étourdie mais ivre de bonheur, la source se trouvait belle. Elle était devenue une cascade !

Tout autour du point de chute, les rocs mouillés brillaient, la végétation environnante luisait de rosée nacrée. Par endroits, le gel s’en emparait aussitôt, façonnant à l’infini des milliers de diamants étincelant au soleil !

Notre petite source, éblouie, contemplait le spectacle de sa transformation. C’était bien mieux que dans sa caverne où le jour filtrait si peu ! Là, elle se sentait tellement libre. Des oiseaux venaient se poser sur les gros blocs arrondis, polis par le courant. Des marmottes et des chamois, venaient boire son eau claire. Elle jouait à saute-galets, s’éparpillant  avec extase, ou à cache-cache avec de grosses roches qu’elle contournait malicieusement. Inlassablement, elle traçait sa voie sur le versant de la montagne, allant toujours plus loin.

Elle vit s’approcher d’elle un bel oiseau. Posé sur une branche, tout près de l’eau, il scrutait l’onde patiemment. Et soudain, plouf ! Plus rien! Le volatile avait plongé. Elle le sentait glisser dans ses courants, nageant avec ses ailes. Surprenant ! Il ressortit un peu plus loin et sauta sur un rocher. Il tenait un petit poisson dans son bec. Il l’avala lentement, et resta un moment là, au-dessus des flots. Son plastron blanc le rendait bien visible. Sa tête châtain et son corps sombre, ses contours rondelets, faisaient de lui un oiseau robuste, solide, capable de supporter les rigueurs de la montagne. C’était un Cincle plongeur, venu pêcher son repas dans ces eaux riches et claires. Un nouvel ami !

Mais la source descendait toujours. Chemin faisant, elle traversait des décors changeants. La neige devenait plus rare, le froid aussi était moins vif mais omniprésent. Sur la pente caillouteuse, les plaques herbeuses s’élargissaient, la forêt devenait plus dense, il y avait davantage d’oiseaux et d’autres petits animaux. Indéniablement, un monde différent de tout ce qu’elle avait connu jusqu’à présent, l’accueillait sans retenue. La cascade devenait un torrent !

Il dévalait la montagne en chantant gaiement, et se permettait même des moments de repos en terrain plat. Parfois, il s’amusait à passer sous un joli pont où des humains accoudés commentaient sa course. La vie était belle !
Ses eaux poissonneuses attiraient les pêcheurs. Toute la journée, ils restaient assis au bord, sortant de temps en temps une belle truite argentée qui se tortillait au bout de la ligne. Des familles entières venaient se reposer sur ses rives, organisant des pique-niques sur les galets, là, sous les arbres…

Mais le jeune torrent apprit bientôt autre chose. Plus il descendait, plus il traversait de villages, passait devant des campings, des auberges. Bref, il découvrait l’activité humaine et ses conséquences : la pollution ! Des bouteilles en plastique, des papiers gras, des détritus de toutes sortes flottaient à certains endroits, s’accumulant derrière les rochers.
Le jeune torrent était triste. La civilisation commençait à l’abîmer. Ce n’était pourtant pas difficile de ramasser ses ordures ! 

Il se trouvait encore en altitude, mais un jour prochain, il allait falloir se décider à poursuivre sa route. Il hésitait beaucoup à présent, angoissé à l’idée d’être souillé à jamais.
Mais il devait aller de l’avant. Il devait savoir. Alors, courageusement, il entama encore une descente à travers des contrées de plus en plus habitées. Certes, la nature restait belle, mais le bruit le gênait, à tel point qu’il ne s’entendait plus chanter par moments ! Mais quand même, il rencontrait de nombreux animaux, moins farouches. Des chiens venaient se baigner dans son lit, des troupeaux le regardaient passer, des ponts importants l’enjambaient. Un jour même, il y eût des bateaux sur son dos ! Le jeune torrent devenait un fleuve !

Désormais, il allait pouvoir se rendre utile, tout en continuant d’agrémenter le paysage. Il transportait des péniches, des bateaux de plaisance, des barques de pêcheurs. Sur ses rives, parfois, les hautes tours d’une usine se dressaient, crachant des fumées épaisses et colorées que le vent dispersait sur les villes alentour. Les flots prenaient une couleur ocre qu’il n’aimait pas du tout !

Il s’élargissait de plus en plus. Des ponts gigantesques, chargés de véhicules divers et variés, passaient au-dessus de sa tête. Il recevait régulièrement des papiers sales, des canettes vides. Quelquefois même, il sentait qu’il attirait des humains déprimés… Il avait horreur de cela, et s’empressait de leur chanter sa plus belle chanson pour les distraire. Il préférait voir les enfants se baigner le long de ses rives en chahutant et en s’aspergeant. C’était bien plus amusant !

Mais voilà qu’à la sortie d’une grande cité, il vit un jour un gros bateau. Un paquebot sans doute. Il avait gagné en profondeur, creusant son lit chaque fois plus loin et plus fort. Des grues immenses s’agitaient sur ses rives… Un port ! C’était donc cela !
Depuis quelques temps, il se sentait aspiré par une force qu’il avait du mal à contrôler. Il approchait de l’océan ! Il courait à présent dans un large estuaire, et le trafic fluvial intense agitait ses flots. Par moments, il découvrait certaines parties de son lit, offrant ainsi des promontoires à des centaines d’oiseaux.

Il adorait ceux qui avaient de longues pattes ! Très élégants, ils avançaient avec précaution sur les bords boueux où ils attrapaient de petits poissons aux reflets brillants. Des Hérons cendrés, des Aigrettes garzettes immaculées, c’était merveilleux ! Des vols entiers d’oies et de canards sauvages venaient se reposer sur ces îlots fugaces pendant les migrations. Quand la marée montait, les mouettes et les goélands formaient des bandes bruyantes et blanches qui dansaient dans la brume. Des Grands Cormorans plongeaient avec force et grâce, trouvant là une nourriture riche et abondante.
Il était heureux, il était utile !

Un beau matin, une marée plus forte l’entraîna vers le large et il ne revint plus jamais… Dans l’immensité de l’océan, il avait encore beaucoup à découvrir. Il ne regrettait rien. Là-bas, sur la terre, il apercevait le sommet de la montagne où un jour, sa source avait eu la volonté de s’évader. Les épreuves traversées l’avaient rendu plus fort et courageux, et quand il se mettait en colère, rien ni personne ne pouvait lutter contre la férocité de ses courants. Mais il se calmait toujours et accueillait sur ses vagues les bateaux, les oiseaux marins, tout ce qui désormais, était sa vie…Il savait que désormais, il faisait partie des choses les plus importantes sur cette terre. Il était l’EAU ! Ce trésor dont la planète ne pourrait jamais se passer, et qu’il fallait absolument respecter. Sans elle, l’humanité ne serait rien.

Alors, prenons soin d’elle. Ne la souillons pas avec nos détritus. Gardons-là pure et claire comme là-haut, quand la petite source a jailli, sans savoir dans quel monde elle allait vivre. Faisons en sorte que ce joyau de la nature reste tel qu’il nous a été donné, c’est-à-dire, propre et riche. C’est un cadeau, prenons-le sans restriction. Il n’a pas de prix…

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