Les Oiseaux de Tenerife
Connues sous le nom d’ « îles Fortunées » depuis sans doute l’Antiquité, les îles Canaries surgissent au-dessus des flots de l’Atlantique, dominées par le Pic du Teide dont le sommet parfois enneigé transperce bien souvent les nuages. Iles volcaniques au relief tourmenté et aux couleurs changeantes, elles jouissent à longueur d’année d’un temps clément pouvant passer de la pire averse au plus beau des soleils en quelques minutes !
La plus grande d’entre elles, Tenerife, s’est façonnée autour du volcan du Teide. Du niveau de la mer jusqu’au sommet à 3700 mètres, divers paysages marquent les étapes de la végétation. La forêt de Pins Canariens occupe une grande place autour de la couronne dénudée du volcan. Chaque partie abrite des espèces d’oiseaux précises, leur procurant un habitat adapté.
Il me semble normal de commencer par le Serin des Canaries (Serinus canaria), très commun et omniprésent dès que des jardins avec buissons, arbustes et arbres sont disponibles. Visible du niveau de la mer jusqu’aux forêts d’altitude vers 1500 mètres, il est souvent observé en petits groupes ou en couples, picorant dans l’herbe ou chantant dans les branches.
La couleur jaune-vert des parties inférieures n’est pas sans rappeler le Verdier d’Europe quand on l’aperçoit perché juste au-dessus de nous, mais les stries foncées sur son dos gris l’identifient très vite dès qu’il est au sol. Le mâle a la tête jaune alors que la femelle est plus terne, avec sa tête grisâtre et une tache jaune autour des yeux. Leurs gazouillements cristallins et rapides permettent de les situer. Toujours très actifs, ils volent en bandes et se poursuivent, allant se poser d’un même coup d’aile sur les branches proches. Il représente la forme sauvage du Canari d’ornement, dont la couleur jaune vif n’a plus grand-chose à voir avec l’espèce originelle !
Très présente également autour de Puerto de la Cruz, la Bergeronnette des ruisseaux (Motacilla cinerea canariensis) promène sa silhouette classique et colorée en balançant sa longue queue le long des pelouses non loin d’un point d’eau, sur les terrains de golf, dans les parcs et jardins urbains, indifférente aux touristes qui se promènent autour d’elle.
Le pouillot des Canaries (Phylloscopus collybita canariensis), identique à notre Pouillot véloce, fait entendre dès le petit matin son sifflement caractéristique qui ne permet pas toujours de le situer. Omniprésent à Tenerife, il reste très difficile à observer s’il a décidé de rester dans les parties hautes des arbres, dans le feuillage et à l’ombre. Mais parfois, il se hasarde sur le sol ou sur les branches basses des arbustes, se laisse admirer un bref instant et repart aussitôt. Il se perche en général juste au-dessus de nos têtes. Celui que j’ai régulièrement observé pendant mon séjour adoptait souvent le même comportement quand, postée exactement sous son perchoir, je le regardais se laisser tomber sur moi pratiquement à la verticale, pour ensuite bifurquer brusquement à quelques dizaines de centimètres de ma tête ! Sans doute de l’intimidation pour que je m’éloigne, ce que je faisais d’ailleurs, mais à contrecœur je l’avoue!
Un autre petit oiseau très fréquent sur l’île, la Mésange de Tenerife (Parus caeruleus teneriffae), ressemble beaucoup à notre Mésange bleue, mais ses couleurs apparaissent plus contrastées et plus foncées. De plus, l’espèce canarienne n’a pas de barre alaire blanche et sa calotte est plutôt bleu nuit. Cette mésange se trouve aussi bien au niveau de la mer que dans les forêts de Pins Canariens en altitude, jusqu’à 2000 mètres sur les pentes du volcan.
Elles vivent en bandes, se nourrissant en petits groupes en lançant leurs cris aigus, brefs et rapides. A Puerto de la Cruz, elles nidifient dans les creux des palmiers dans les parcs en pleine ville. Très espiègles, leur comportement n’est pas sans rappeler celui de leurs cousines !
Le Roitelet de Tenerife (Regulus teneriffae) reste très difficile à observer, d’une part à cause de sa petite taille, et surtout parce qu’il se déplace en mouvements nerveux et rapides le long des troncs des pins et à l’ombre. Sans avoir de plumage cryptique, il se confond aisément avec l’écorce plus claire des Pins Canariens. Il diffère du Roitelet huppé par son front noir, les extrémités des tertiaires moins blanches et ses flancs légèrement plus sombres. Ses petits cris aigus permettent parfois de le localiser sur une branche. Celui qui figure sur la photo m’a laissé en gros une quinzaine de secondes pour le photographier ! Je l’ai trouvé à environ 2200 mètres d’altitude sur le flanc du volcan.
Dans les mêmes forêts, la Mésange de Tenerife reste très présente, toujours en petits groupes, et souvent très intéressée par les miettes de gâteau distribuées par les touristes qui fréquentent les aires de pique-nique !
Autre habitant des forêts de pins en altitude, le Pic épeiche de Tenerife (Dendrocopos major canariensis) est une sous-espèce endémique. J’ai eu la chance d’observer un couple, le mâle avec sa tache rouge derrière la tête, mais avec les parties inférieures blanc chamoisé et le bas-ventre rouge orangé, des couleurs moins contrastées que chez le Pic épeiche. La femelle présente une tache beige sur sa nuque moins uniformément noire que chez la femelle de notre Pic. Alertée par son tambourinage, je n’ai eu qu’à lever la tête. Il s’occupait activement d’une pomme de pin fermée, a demi-caché dans les aiguilles fines du Pin Canarien. Sur l’arbre voisin, la femelle grimpait autour du tronc, tranquille et pas impressionnée le moins du monde par notre présence.
Et pour parfaire cette journée déjà bien commencée, celui que nous sommes venus voir tout spécialement a daigné se montrer, en couple, et chanter pour nous pendant de longues minutes. Le Pinson Bleu, espèce endémique de Tenerife est bien représenté sur l’île, alors que l’espèce présente sur Grande Canarie est rare et menacée. Sédentaire, il reste habituellement dans les forêts d’altitude, mais la recherche de nourriture peut parfois le conduire plus bas dans les zones cultivées, notamment si le temps se dégrade trop.
Il nous apparaît un peu plus grand que le Pinson des arbres, et présente un bec nettement plus fort, conique et robuste. Sa douce couleur gris-bleu nous étonne et nous ravit. Ses yeux sont entourés de deux fins croissants très blancs, l’un au-dessus de l’œil et l’autre en dessous. Il reste posé devant nous sur une petite branche de pin dénudée, juste à quelques mètres, et se met à chanter. Les sons rappellent vaguement ceux du Pinson des arbres, mais les séries sont plus brèves et plus lentes.
La femelle ressemble beaucoup à la nôtre, en beaucoup plus terne. Le cercle oculaire brisé apparaît plutôt blanc chamoisé.
La végétation disparaît progressivement, remplacée par des surfaces arides et caillouteuses, aux couleurs changeantes et contrastées. Résultat des diverses éruptions du Teide dont la dernière en 1909, ces paysages lunaires et chaotiques baignés de soleil se trouvent au-dessus de 2200 mètres d’altitude. Plus loin, le sommet enneigé pointe son nez à 3715 mètres dans le ciel bleu. Nous pénétrons dans l’habitat d’une autre espèce endémique de Tenerife, le Pipit de Berthelot.
Cet oiseau gracile aux pattes situées assez en arrière du corps, trotte dans la pierraille comme une souris ! Ses couleurs cryptiques le rendent presque invisible dans les rocailles, mais la terrasse du bar de l’hôtel niché au cœur du parc ne le laisse pas indifférent. A ma grande surprise, la rencontre a lieu sur le parking, tout près de la voiture !
Ensuite, j’en vois plusieurs autour des tables, et je me rends compte que cette espèce sauvage se comporte comme nos Moineaux domestiques devant les miettes de pain… Mais il se nourrit aussi dans les buissons et les figuiers de Barbarie !
Ces oiseaux vivent en groupes familiaux et sont essentiellement terrestres, préférant courir plutôt que de s’envoler. Son nid se trouve aussi sur le sol. Le Pipit de Berthelot se déplace en balançant sa queue de haut en bas, un peu comme une bergeronnette. Son sourcil net blanchâtre, les stries sur la poitrine et la couleur brunâtre très finement rayée des parties supérieures aident rapidement à son identification. Il bouge vite et se pose très rarement sur les arbres. Cette espèce est sédentaire et ne se trouve que dans ces parties arides de l’île, en altitude.
Le Faucon crécerelle (Falco tinnunculus canariensis), est omniprésent dans toutes les parties de l’île, mais un peu moins en altitude, bien qu’ayant déjà été observé à plus de 2000 mètres ! Il est assez semblable au nôtre, peut-être avec un plumage plus contrasté, mais considéré comme sous-espèce endémique dans chaque île des Canaries.
Citons aussi le Pinson des arbres (Fringilla coelebs tintillon) semblable au nôtre mais aux couleurs plus accentuées. Son dos et sa tête sont d’un gris bleuté assez soutenu. Les parties supérieures contrastent vivement avec la douce couleur orange chamoisé du dessous et des côtés de la tête. Il vit dans les zones broussailleuses et arbustives, au pied des forêts de lauriers.
Le Goéland de l’Atlantique (Larus michahellis atlantis) aux pattes d’un jaune moins vif et le manteau plus foncé que l’espèce classique, habite les côtes escarpées faites de roches volcaniques aux chaudes couleurs ocre. Il semble nidifier sur les rochers de la plage ou plus probablement sur les falaises proches.
Le Rouge gorge de Tenerife (Erithacus rubecula superbus) diffère légèrement de notre roi du jardin par un cercle oculaire blanchâtre, la poitrine et le front d’un rouge orangé plus intense, et par la présence d’une zone grise qui sépare cette couleur vive du reste du plumage brun. L’abdomen est blanc. Il fréquente les zones arbustives au pied des forêts de lauriers.
La fauvette mélanocéphale (Sylvia melanocephala leucogastra) réside également à Tenerife. Elle se distingue par une coloration foncée sur le dessus, et les flancs beige fauve chez le mâle. Il est probable qu’elle « navigue » entre l’Est des Canaries et le Maghreb.
Sur la photo ci-contre, une belle baie bien mure semble lui convenir, car elle reste complètement indifférente au passage des touristes sur le trottoir.
Le Martinet unicolore (Apus unicolor unicolor) se reproduit très bien à Tenerife sur les falaises, les ponts ou les hautes structures où il nidifie en colonies. C’est un migrateur partiel car il peut hiverner sur place, mais il peut aussi effectuer quelques dispersions en hiver vers le Nord-ouest de l’Afrique.
Ses ailes sont plus étroites que chez le martinet noir auquel il est très semblable, bien que légèrement plus petit.
Le Moineau espagnol (Passer hispaniolensis) a le corps trapu et la calotte brun-roux, et non grise comme le Moineau domestique. Le dessus est plus foncé, mais ce sont surtout les parties inférieures qui font la différence, en étant intensément striées de brun foncé sur fond blanchâtre.
Ses comportements sont semblables à celui du moineau domestique, mais il a plutôt tendance à nidifier en colonies dans les buissons et les bosquets à proximité des cours d’eau. Il lui arrive même de s’installer dans les fondations des gros nids de rapaces.
Le Merle noir des Canaries (Turdus merula cabrerae) est aussi présent à Madère. Cette sous-espèce est endémique de Macronésie, et fréquente aussi bien les forêts que les parcs urbains, les zones cultivées et la végétation en altitude. Il est plus petit, d’un noir plus profond et plus brillant que notre Merle noir européen. La femelle est également plus sombre, presque brun-noir.
Les comportements sont similaires à ceux des merles en général. La saison de reproduction varie un peu selon l’altitude dans les îles où il vit.
La Perdrix gambra (Alectoris barbara) est un oiseau robuste que l’on peut trouver jusqu’à 3000 mètres d’altitude dans le Parc du Teide, mais aussi dans les forêts ou les escarpements des barrancos. Elle a les sourcils, la gorge et le haut de la poitrine gris, ainsi qu’un net collier ocre-roux tacheté de blanc. De plus, une bande noire sépare la calotte gris clair en deux parties et s’étend jusqu’à la nuque où elle rejoint le collier. Oiseau grégaire, elle est souvent vue en petits groupes. Elle se plaque au sol si elle se sent menacée, et ne s’envole qu’au dernier moment, presque sous nos pieds.
La Pie grièche méridionale (Lanius meridionalis koenigi) se pose très souvent sur des perchoirs à découvert, comme pratiquement toutes ses cousines. Cette sous-espèce présente sur l’île a un sourcil plus court. Elle se nourrit de lézards et de papillons dans les zones semi-désertiques parsemées de buissons.
D’autres espèces ne vivent qu’à Tenerife, comme le Pigeon de Bolle (Columba bollii), et le Pigeon des lauriers (Columba junoniae) malheureusement non observés. Difficiles à voir car vivant exclusivement dans les feuillages des arbres, leurs couleurs relativement ternes et classiques n’en font pas toujours un but important pour les ornithologues amateurs !
Sur l’île, le pigeon biset (Columba livia) constitue une importante population férale. Il est très commun et visible dans toute l’île, excepté en altitude dans le Parc du Teide. Cette espèce fréquente surtout les zones rocheuses et les fourrés des ravins, aussi bien que les rochers en bord de mer.
Le Puffin cendré (Calonectris diomedea) vole le long des falaises de Los Gigantes qui trempent leur base escarpée dans l’Océan Atlantique, du haut de leurs 500 à 800 mètres de hauteur. Il fait de longs planés en rasant la surface des eaux, en alternant avec quelques battements élastiques. Le puffin cendré vit sur les îlots rocheux et les falaises côtières, où les mers sont très tempérées.
Nous terminerons avec une espèce très présente et résidente sur Tenerife, la Conure veuve (Myiopsitta monachus). Espèce introduite aux Canaries comme dans plusieurs parties du monde, elle est native d’Amérique du Sud, venant d’Argentine et des pays voisins. Elle construit des nids communaux en haut des arbres, contrairement aux autres Psittacidés qui nidifient dans des cavités.
Vers la fin de la journée, le soleil décline doucement sur l’île de Tenerife, nimbée d’une fine brume qui gomme les contours et enveloppe la forêt d’un voile léger, alors que le Pic du Teide surgit encore au-dessus des nuages, captant les dernières lueurs de l’astre du jour et veillant sur les terres fertiles et les couleurs extraordinaires que ses coulées de lave ont créées il y a déjà un siècle.
Les oiseaux se taisent petit à petit. Là-haut, dans la forêt de pins canariens, le beau Pinson bleu s’endort, la petite Mésange s’apaise et le Pipit de Berthelot se repose dans son paysage étonnant. Du côté des humains, les lumières des villes s’allument, les bruits s’estompent dans le soir qui descend, et bientôt, quand l’obscurité sera complète, des feux d’artifice éclateront de tous côtés, car les Iles Canaries aiment la fête et la musique. N’oublions pas leur ancien nom d’Iles Fortunées ! Ou peut-être sont-elles un vestige de cette île légendaire appelée « Atlantide » dont les habitants, de valeureux guerriers, ne sont pas sans rappeler le peuple Guanche, premier habitant connu de ces îles avant l’arrivée des Européens au Moyen Age…
Texte et photos de Nicole Bouglouan
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Sources :
Observations personnelles au cours du séjour.
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